Le numérique peut-il être responsable s'il n'inclut pas les femmes?

Le numérique peut-il être responsable s'il n'inclut pas les femmes?

Alors que les programmes en faveur de la mixité se déploient dans les entreprises, que les médias s’emparent de la question, le pourcentage de femmes dans les métiers du numérique reste désespérément bas. Selon la fondation Femmes@numerique, les femmes seraient environ 16% dans les fonctions techniques du numérique.

Est-il pour autant possible de faire un numérique éthique et responsable en excluant une partie de la population ?

Dans son ouvrage Les oubliées du numérique, Isabelle Collet démonte un à un tous les poncifs sur la place des femmes dans la Tech : les politiques de diversité, la soi-disant auto-censure des femmes, leurs compétences “complémentaires”.

Les femmes sont-elles vraiment absentes

Ou sont-elles invisibilisées ? Par l’histoire tout d’abord. Quand on fait des études d’informatique, on nous apprend l’histoire d’IBM, de Steve Jobs, d’Alan Turing mais rien sur le 1er algorithme d’Ada Lovelace, le 1er compilateur de Grace Hopper, le programme spacial de Margaret Hamilton ou Katherine Coleman Johnson.

Dans les médias ensuite, qui remettent en cause les découvertes des femmes scientifiques (je ne vous met pas le lien vers l’article de Libération sur la 1ère photo de trou noir prise par Katie Bouman) au prétexte qu’elle n’était pas la seule à travailler sur le sujet.

Aucun scientifique masculin n’aurait ce genre de reproche médiatique. Au contraire, toutes les personnes ayant travaillé avec d’illustres personnalités ont été rayées de l’histoire.

Il y a même un nom pour ça : l’effet Mathilda, qui concerne par exemple Mileva Einstein et de nombreuses autres.

ou les hommes trop présents ?

On le voit, les femmes sont là et on ne les voit pas ou on ne veut pas les voir. Qu’elles retournent à leur cuisine et laissent les hommes s’occuper des choses sérieuses.

Pendant ce temps-là, les hommes pensent le monde. Surtout en ce moment, ils pensent le monde d’après. Sans l’avouer explicitement, certains aimeraient inventer comme Alan Turing une machine permettant de se passer des femmes.

Pour vous donner une idée si vous ne voyez pas vraiment où est le problème, voici ce que l’on voit tous les jours quand on fait une veille rapide sur internet : Veille masculine sur internet

Et encore, on ne voit plus tellement les offres d’emplois vantant les mérites du babyfoot et des soirées bières entre collègues.

et si on refilait le sujet de l’égalité aux nanas, ça les occuperait

Tout comme le racisme est un problème de blancs, le sexisme est un problème dont les hommes devraient s’emparer!

De nombreux programmes de mixité sont à destination des femmes qui soi-disant “s’auto-censurent” alors qu’on les fait taire dès qu’elles prennent trop de place. On les forme à la négociation salariale parce qu’elles n’oseraient pas demander alors qu’il a été démontré qu’elles demandaient autant mais recevaient moins que leurs collègues masculins. On leur présente des roles-models qui sont obligées de cacher la réalité parfois dure d’un monde du travail misogyne pour ne pas effrayer les jeunes filles.

Isabelle Collet montre que toutes ces actions, pleines de bonnes intentions, et auxquelles je participe moi-même, envoient le message aux femmes que si elles n’y arrivent pas, c’est leur faute. Le problème devient individuel et non plus collectif. Et surtout elles dédouanent les hommes du moindre changement dans leur propre comportement.

Pas plus tard que la semaine dernière, quand j’ai proposé d’aider une asso du numérique, le premier réflexe a été de me refiler le sujet de la mixité dans le numérique, parce que personne ne s’était vraiment intéressé au sujet pour l’instant. Donc pendant que les hommes s’occupent de la marche du monde, on laisse les femmes s’occuper de leurs problèmes entre elles, ça les occupera. (et je pense sincèrement que la personne qui m’a dit ça ne pensait pas à mal).

Combien d’actions sont mises en place dans les entreprises pour former les hommes à l’égalité salariale, aux questions de discrimination et de harcèlement ?

Avez-vous mis en place un processus de recrutement qui oblige à avoir des représentant·es de chaque genre parmi les candidats, à tout niveau de management ? Ou la cooptation entre pairs est-elle toujours la norme pour former un boy’s club homogène ?

Renverser la norme

Une piste intéressante pourrait être de renverser ce que la société considère comme la norme.

Si la socialisation des filles devenait la référence : coopération, attention aux autres, meilleure prise en compte du risque ? (Attention je ne parle pas de “qualités naturelles” mais bien de socialisation différenciée).

Peut-être faudrait-il considérer que la socialisation des garçons qui prône la compétition permenante, la prise de risque, la valorisation des comportements virils et dangereux n’est pas un modèle à suivre mais qu’au contraire, on devrait éduquer et former les hommes sur le même modèle que les femmes pour un monde plus égalitaire, responsable et éthique.

Qu’en pensez-vous ? Quelles actions avez-vous mises en place dans votre entreprise et quels effets ont-elles ? Si vous souhaitez qu’on en discute ensemble, n’hésitez pas à me contacter

Anne Rabot
Anne Rabot

Consultante en Numérique Responsable et Green IT sur Nantes. Ecolo inquiète pour la planète. Ingénieure féministe